jeudi 7 août 2014

Wwoofing (2/2)

Le travail quotidien est très léger : pas plus de 4h par jour. Il consiste principalement en cette période de l’année à arroser, ce qui relève de ma responsabilité, à préparer les gîtes pour les clients et à faire la vaisselle. Christina n’a pas beaucoup plus d’ambition pour moi et mon collègue. Je vide donc plusieurs piscines olympiques tous les jours dans le jardin. Et arroser demande quelques connaissances tout de même. Arroser au petit matin est le meilleur moment. On peut arroser dans la journée et en début de soirée mais il ne faut pas mouiller les feuilles. On arrose, je veux dire on détrempe la terre à la périphérie de la plante, la « dropzone ». Pour les plantes en pot, le pot doit dégorge son eau pour estimer l’arrosage achevé. Ceci n’est vrai que si l’on n’utilise pas des engrais naturels. Pour garder des arbres en pot, il faut tailler leurs racines tous les ans, au printemps je crois et ne pas les mettre dans des pots trop grands. Un espace de 1-2 centimètres entre le pot et le système racinaire taillé est suffisant. Voilà ce que j’ai appris pour le moment niveau jardinage. Cela reste, il faut l’avouer, assez limité.

Niveau ménage des gîtes, je crois avoir davantage d’expérience que mon hôte. Le ménage entre 2 clients est limité. Christina utilise un produit « révolutionnaire », bio paraît-il, issu directement de la mer. Bref il s’agit d’une mixture dont l’aspect est plus proche du sperme de poisson que du produit ménager. On l’utilise à toutes les sauces : lessive, nettoyage de la cuisine, de la salle de bains. Pour le sol, un simple coup d’aspirateur suffit, sauf dans les cabanes où on utilise le balai. Quant aux draps, ils ne sont pas repassés car c’est une perte d’énergie selon Christina. Bref tout ça contribue quelque peu au côté désuet de son offre hôtelière.

Une fois je jardin arrosé, le ménage fait, on est censé être libre. Cela n’est que théorique. En entrant dans ce jardin, j’ai abandonné ma liberté. Je suis rentré dans un espace où toute ma vie s’organise sur celle de mon hôte. En clair, même si je ne suis pas du tout exploité, je suis un domestique, disponible à tout moment, soir et week-end, peu considéré et très peu remercié. L’heure de petit-déjeuner, de déjeuner et de dîner ne sont pas modifiables. 8h pour le premier, 12h30 pour le deuxième et 19h pour le dîner. Lorsqu’on disparaît du jardin pendant quelques temps pour relâcher un peu la pression, un regard accusateur nous attend à notre retour. « Où étiez-vous donc ? à la banque ? au supermarché ? » Il n’y a pas de notion de week-end dans l’hôtellerie. Il ne saurait y en avoir dans mon wwoofing. Alors, si je veux avoir un jour off, je dois le demander. Et encore il est off tant que je ne suis pas revenu au jardin. Car sitôt le pied dans l’enclos, les ordres pleuvent.

Les ordres – quand il y en a – sont aboyés toutes les minutes. Il n’y a ni « please », ni « thank you ». Les ordres sont accompagnés d’un regard accusateur qui s’est noirci les jours passant. Est-ce l’effet de son eyeliner ? Peut-être, mais pas uniquement. Comme le wwoofer allemand fait le mort dans sa cabane, c’est souvent à moi que revient le plaisir d’exécuter sur le champ les desirata successifs et contradictoires de Christina. Nos tâches s’éloignent parfois de l’objectif du wwoofing : ranger les pièces privées de notre hôte en prévision de l’arrivée de ses petits-enfants, faire ses carreaux, aider le menuisier. Le bio est bien loin dans tout cela. L’esprit d’initiative est prohibé chez mon hôte. Un matin, je me suis permis de couper 4 tiges de rhubarbe pour me faire un dessert (oui il n’y a pas de dessert ici, ni café d’ailleurs et j’aime finir sur une touche sucrée) : je me suis fait rabrouer sur le coup. Alors depuis, je n’exécute plus que les ordres donnés : je rêvasse en arrosant. J’exécute sans trop broncher car je compte sur Christina pour être une référence positive pour le reste de mon périple.

Christina est typiquement une femme au foyer. Elle semble adorer contrôler son personnel. Comme beaucoup de femmes ayant arrêté leur carrière à la sortie de l’université, elle adore lister les diplômes de tout le monde : les diplômes de ses amies, les diplômes des amis de son fils et ceux des amis du fils du cousin de sa belle-fille. A côté de cela, tout semble secondaire. Elle se plaint d’être débordée alors qu’elle passe son temps à chercher de la compagnie pour papoter. Nous, ses wwoofers, sommes son public le plus attentif, car le plus disponible. Elle nous tient la jambe des heures durant à nous raconter ses anciens périples au volant de son van VW, de ses premières expériences de cannabis et de champignons. L’esprit hippie l’a un peu atteinte je crois. Plusieurs détails me font penser qu’il y a un certain degré de folie en elle. Elle confond les dates, enregistre 2 réservations sur la même période, se contredit souvent, a des réactions bizarres.

Ses amis défilent dans le jardin, ce qui est toujours agréable. Une surexcitée lui apporte son muesli fait maison. Un ami vient lui réparer une cheminée. Un autre ami jardinier passe tondre la pelouse et faire quelques trucs que je serai capable de faire. Une autre vient lui acheter de la marinade. Une autre lui dépose 2 cornichons. Celle-ci est incroyable. J’espère la rencontrer de nouveau. Suite à une rupture sentimentale, elle est partie à la fin des années 80 à la recherche de ses racines en Irlande. Et là, manque de bol, elle se retrouve dans une maison hantée par une famille de hobbits. Le patriarche de cette famille l’informe de sa nouvelle vocation : propager parmi les humains, les connaissances sur le monde surnaturel, peuplé d’elfes, de gnomes, de fées et de lutins. Depuis, elle publie des bouquins « sérieux » sur ce sujet, participe à des ateliers en Allemagne, en France, aux Pays—Bas. Elle n’a pas su détecter en moi une personnalité surnaturelle mais le wwoofer allemand a été déclaré elfe sur le champ. Après quel type d’elfe ? Mystère. En effet, il peut être soit elfe d’un arbre comme l’est Johnny Depp, elfe de la forêt ou bien elfe royal comme Cate Blanchett. Christina m’a reproché de poser trop de questions révélant mon scepticisme. Esprits de contradiction s’abstenir. Il y a aussi son ami John qui nous a accueillis sur son île, et son menuisier, qu’elle déteste, mais qui nous a prêté son canoë. Sans oublier les clients, qui sont autant de personnes avec qui je peux tenter d’améliorer mon anglais et mes compétences pour les discussions sympathiques mais sans grand intérêt, les « small talk ».


Pour conclure, je ne regrette pas ce wwoofing. Débuté mon aventure canadienne par du wwoofing, m’a permis de m’acclimater progressivement à mon nouveau pays tout en m’aérant : j’ai parlé anglais, rencontré des locaux, réglé les problèmes administratifs sans pression. Ces jours passés en extérieur dans ce beau jardin et dans cette région magnifique ont été comme dans des vacances gratuites bien que la personnalité de mon hôte les ait un peu gâchées.

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