Le travail
quotidien est très léger : pas plus de 4h par jour. Il consiste principalement
en cette période de l’année à arroser, ce qui relève de ma responsabilité, à
préparer les gîtes pour les clients et à faire la vaisselle. Christina n’a pas
beaucoup plus d’ambition pour moi et mon collègue. Je vide donc plusieurs piscines
olympiques tous les jours dans le jardin. Et arroser demande quelques
connaissances tout de même. Arroser au petit matin est le meilleur moment. On
peut arroser dans la journée et en début de soirée mais il ne faut pas mouiller
les feuilles. On arrose, je veux dire on détrempe la terre à la périphérie de
la plante, la « dropzone ». Pour les plantes en pot, le pot doit dégorge
son eau pour estimer l’arrosage achevé. Ceci n’est vrai que si l’on n’utilise
pas des engrais naturels. Pour garder des arbres en pot, il faut tailler leurs
racines tous les ans, au printemps je crois et ne pas les mettre dans des pots
trop grands. Un espace de 1-2 centimètres entre le pot et le système racinaire
taillé est suffisant. Voilà ce que j’ai appris pour le moment niveau jardinage.
Cela reste, il faut l’avouer, assez limité.
Niveau ménage des
gîtes, je crois avoir davantage d’expérience que mon hôte. Le ménage entre 2
clients est limité. Christina utilise un produit « révolutionnaire »,
bio paraît-il, issu directement de la mer. Bref il s’agit d’une mixture dont
l’aspect est plus proche du sperme de poisson que du produit ménager. On
l’utilise à toutes les sauces : lessive, nettoyage de la cuisine, de la
salle de bains. Pour le sol, un simple coup d’aspirateur suffit, sauf dans les
cabanes où on utilise le balai. Quant aux draps, ils ne sont pas repassés car
c’est une perte d’énergie selon Christina. Bref tout ça contribue quelque peu
au côté désuet de son offre hôtelière.
Une fois je
jardin arrosé, le ménage fait, on est censé être libre. Cela n’est que théorique.
En entrant dans ce jardin, j’ai abandonné ma liberté. Je suis rentré dans un
espace où toute ma vie s’organise sur celle de mon hôte. En clair, même si je
ne suis pas du tout exploité, je suis un domestique, disponible à tout moment,
soir et week-end, peu considéré et très peu remercié. L’heure de
petit-déjeuner, de déjeuner et de dîner ne sont pas modifiables. 8h pour le
premier, 12h30 pour le deuxième et 19h pour le dîner. Lorsqu’on disparaît du
jardin pendant quelques temps pour relâcher un peu la pression, un regard accusateur
nous attend à notre retour. « Où étiez-vous donc ? à la banque ?
au supermarché ? » Il n’y a pas de notion de week-end dans
l’hôtellerie. Il ne saurait y en avoir dans mon wwoofing. Alors, si je veux
avoir un jour off, je dois le demander. Et encore il est off tant que je ne
suis pas revenu au jardin. Car sitôt le pied dans l’enclos, les ordres
pleuvent.
Christina est
typiquement une femme au foyer. Elle semble adorer contrôler son personnel. Comme
beaucoup de femmes ayant arrêté leur carrière à la sortie de l’université, elle
adore lister les diplômes de tout le monde : les diplômes de ses amies,
les diplômes des amis de son fils et ceux des amis du fils du cousin de sa
belle-fille. A côté de cela, tout semble secondaire. Elle se plaint d’être
débordée alors qu’elle passe son temps à chercher de la compagnie pour papoter.
Nous, ses wwoofers, sommes son public le plus attentif, car le plus disponible.
Elle nous tient la jambe des heures durant à nous raconter ses anciens périples
au volant de son van VW, de ses premières expériences de cannabis et de
champignons. L’esprit hippie l’a un peu atteinte je crois. Plusieurs détails me
font penser qu’il y a un certain degré de folie en elle. Elle confond les
dates, enregistre 2 réservations sur la même période, se contredit souvent, a
des réactions bizarres.
Ses amis défilent
dans le jardin, ce qui est toujours agréable. Une surexcitée lui apporte son
muesli fait maison. Un ami vient lui réparer une cheminée. Un autre ami
jardinier passe tondre la pelouse et faire quelques trucs que je serai capable
de faire. Une autre vient lui acheter de la marinade. Une autre lui dépose 2
cornichons. Celle-ci est incroyable. J’espère la rencontrer de nouveau. Suite à
une rupture sentimentale, elle est partie à la fin des années 80 à la recherche
de ses racines en Irlande. Et là, manque de bol, elle se retrouve dans une
maison hantée par une famille de hobbits. Le patriarche de cette famille
l’informe de sa nouvelle vocation : propager parmi les humains, les
connaissances sur le monde surnaturel, peuplé d’elfes, de gnomes, de fées et de
lutins. Depuis, elle publie des bouquins « sérieux » sur ce sujet,
participe à des ateliers en Allemagne, en France, aux Pays—Bas. Elle n’a pas su
détecter en moi une personnalité surnaturelle mais le wwoofer allemand a été
déclaré elfe sur le champ. Après quel type d’elfe ? Mystère. En effet, il
peut être soit elfe d’un arbre comme l’est Johnny Depp, elfe de la forêt ou
bien elfe royal comme Cate Blanchett. Christina m’a reproché de poser trop de
questions révélant mon scepticisme. Esprits de contradiction s’abstenir. Il y a
aussi son ami John qui nous a accueillis sur son île, et son menuisier, qu’elle
déteste, mais qui nous a prêté son canoë. Sans oublier les clients, qui sont
autant de personnes avec qui je peux tenter d’améliorer mon anglais et mes
compétences pour les discussions sympathiques mais sans grand intérêt, les
« small talk ».
Pour conclure, je
ne regrette pas ce wwoofing. Débuté mon aventure canadienne par du wwoofing, m’a
permis de m’acclimater progressivement à mon nouveau pays tout en m’aérant :
j’ai parlé anglais, rencontré des locaux, réglé les problèmes administratifs
sans pression. Ces jours passés en extérieur dans ce beau jardin et dans cette
région magnifique ont été comme dans des vacances gratuites bien que la
personnalité de mon hôte les ait un peu gâchées.
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